PLACE, Dorte Mandrup : Architecture et paysage en symbiose
Des marais ocres de la mer des Wadden à l’immensité époustouflante de l’Arctique, en passant par les souvenirs tragiques des ruines de la gare d’Anhalt à Berlin, le cabinet d’architecture danois Dorte Mandrup dessine des bâtiments qui évoquent les récits distincts des lieux dont ils découlent.
À une époque où nous, les humains, sommes devenus une force profonde de la nature, il est de plus en plus important que l’architecture se fasse vecteur des particularités uniques à un contexte et améliore la compréhension et l’expérience qu’on a de chaque lieu, qu’il s’agisse des paysages fragiles ou du cadre social, culturel ou économique » – Dorte Mandrup, fondatrice et directrice créative du cabinet.
Cette nouvelle exposition présente cinq projets uniques du cabinet et fait le récit d’une architecture poétique, un espace physique qui attire l’attention sur les qualités singulières du lieu et où le vivre ensemble peut se former.
Connue pour travailler dans des lieux fragiles, l’architecte Dorte Mandrup s’appuie sur la tradition de l’architecture scandinave, où les bâtiments ne sont pas perçus comme des objets à part mais sont compris dans le contexte de leur environnement :
« Pris isolément, les projets peuvent sembler ne pas avoir de lien direct entre eux, mais pris ensemble, ils expriment une abondance de contexte, puisqu’on a laissé le lieu informer et éclairer l’architecture : une richesse dans la matérialité, la forme et la fonction."
Les 5 projets :
- Centre d'observation du Fjord glacé d'Ilulissat (IIulissat Icefjord Centre) :
Tel l’aile d’une chouette des neiges effleurant la roche, le bâtiment est en gracieuse lévitation.
Ilulissat Icefjord Centre, Groenland, Dorte Mandrup © Adam Mørk
C’est dans le rude et sublime paysage arctique, au bord du fjord glacé de Kangia, que l’Ilulissat Icefjord Centre se fond sans façon dans le vaste paysage. Offrant une position unique au bâtiment sur une vue à couper le souffle, il permet de comprendre les conséquences du changement climatique sur ce paysage irremplaçable, situé à 250 km au nord du cercle polaire arctique. Tel l’aile d’une chouette des neiges effleurant la roche, le bâtiment est en gracieuse lévitation, dans un mouvement dynamique qui permet de découvrir le fjord glacé à mesure que l’on se dirige vers le cœur du bâtiment. Perché sur la roche ancienne, sa présence fait figure de poésie singulière. Le bâtiment, relativement petit, ne cherche pas à concourir avec le spectacle bouleversant du paysage autour, mais rend plutôt hommage à son immensité. Cette architecture forme un abri délicat et un lieu hospitalier pour les interactions sociales au milieu de cette « nature surpuissante ». L’Icefjord Centre et son toit en libre-accès sont un nouvel espace de communauté, sorte de passerelle entre la ville d’Ilulissat et la nature sauvage qui s’étend au-delà.
- La Baleine (The Whale) :
The Whale est un lieu de rencontre important entre les humains et les baleines, mêlant science, art, culture et architecture pour accroître notre compréhension des baleines et la préservation de la vie marine.
The Whale, Norvège © MIR
À 300 km au nord du cercle polaire arctique se trouve Andenes, à la pointe de l’île d’Andøya. Entre l’immensité de la mer et les montagnes escarpées, l’île est située à la limite de l’océan, dont les grands fonds abritent une vallée sous-marine. Ce relief sous-marin est un lieu important qui permet aux baleines de se nourrir lors de leur migration, faisant d’Andenes l’un des meilleurs sites au monde pour observer de près ces extraordinaires cétacés. Inspiré par le relief de l’île, continuation directe du relief immergé avec pour simple ligne de démarcation la surface de l’eau, The Whale s’élève telle une colline recélant une cavité, comme si un géant avait entaillé la croûte terrestre et l’avait soulevée. Le toit incurvé est recouvert de pierres locales et forme un nouvel espace public spectaculaire. De là, les visiteurs peuvent admirer l’archipel, les montagnes, l’océan et la danse des aurores boréales dans le ciel. En synergie avec le paysage, The Whale est un lieu de rencontre important entre les humains et les baleines, mêlant science, art, culture et architecture pour accroître notre compréhension des baleines et la préservation de la vie marine.
- Musée de l'Exil de Berlin (Exile Museum Berlin) :
Le visiteur suit le même chemin que les voyageurs d’autrefois qui passaient le portique d’entrée pour se rendre sur les voies…
Musée de l’Exil de Berlin, Allemagne © MIR
À côté des ruines de l’ancienne Gare d’Anhalt, point de passage de milliers de personnes qui fuirent le régime nazi, le Musée de l’Exil insufflera une nouvelle vie à l’histoire des contraints à l’exil de la Deuxième Guerre mondiale. Avec ses douces courbures en forme d’arches, le bâtiment épouse et met en relief l’importance des vestiges de la Gare d’Anhalt, créant un dialogue entre le passé et le présent. La lourde façade en briques s’inspire des photos des énormes amas de briques qui couvraient le site après la démolition de ce qui restait de la gare en 1961, comme si le fracas des ruines s’était désormais mué en un nouvel édifice. À l’intérieur, les visiteurs se retrouvent face à un foyer spectaculaire de trois étages qui s’étend à la verticale comme à l’horizontale. Pour pénétrer dans le musée depuis les ruines de la Gare d’Anhalt, le visiteur suit le même chemin que les voyageurs d’autrefois qui passaient le portique d’entrée pour se rendre sur les voies, marchant ainsi sur les traces de ceux qui sont partis vers l’inconnu entre 1933 et 1945. Le Musée de l’Exil est une réponse à un moment historique difficile et crée un lieu où l’on peut comprendre et mettre en lumière l’exil. Il n’a peut-être jamais été aussi urgent de le comprendre qu’aujourd’hui, alors que des millions de personnes sont contraintes à l’exil en raison du nationalisme, des conflits religieux, des guerres et guerres civiles, ou à la suite de catastrophes naturelles.
- Centre de la mer des Wadden (Wadden Sea Centre) :
Grâce à une synergie entre la nature, l’art et l’architecture, le projet fait prendre conscience de l’importance de ces zones humides classées au patrimoine mondial de l’UNESCO…
Wadden Sea Centre, Danemark © Adam Mørk
Le Wadden Sea Centre émerge d’une zone marécageuse aux tons ocres de la côte, près de Vester Vedsted au Danemark. Grâce à une synergie entre la nature, l’art et l’architecture, le projet fait prendre conscience de l’importance de ces zones humides classées au patrimoine mondial de l’UNESCO tout en contribuant au développement durable des zones rurales de la périphérie. Le bâtiment est implanté dans un paysage de lignes horizontales à perte de vue, où le vent de l’ouest souffle sans répit sur quelques fermes isolées. Tant par la forme que par la matérialité, l’architecture du Wadden Sea Centre est une continuation et une interprétation du lieu et des maisons traditionnelles au toit de chaume de la région. La toiture a été réalisée en roseaux selon une technique quasi-inchangée depuis l’époque viking. Une adaptation sculpturale des roseaux récoltés localement ancre le bâtiment et le distingue tout à la fois. Le corps du bâtiment étiré s’aplatit en direction de l’horizon, attirant le visiteur vers la façade tactile et l’entrée de l’exposition, racontant l’histoire des millions d’oiseaux migrateurs qui font chaque année une halte sur la mer des Wadden, pour se nourrir et préparer leur long voyage vers le sud.
- Centre du patrimoine mondial Trilatéral Wadden Sea (Trilateral Wadden Sea World Heritage Partnership Center, Germany) :
Le paysage est transformé en bassins naturels qui recueilleront l’eau de pluie et offriront par temps sec des espaces que les visiteurs pourront occuper.
Centre du patrimoine mondial Trilateral Wadden Sea, Allemagne © MIR
Durant les deux guerres mondiales, la ville côtière de Wilhelmshaven fut une importante base navale allemande. Aujourd’hui, l’un des rares vestiges de cette histoire navale se trouve dans un champ : un bunker inamovible et isolé à ciel ouvert, tel un gigantesque rocher planté dans le fond marin. Le bunker est un point d’ancrage naturel dans le paysage et l’intégration de sa lourde structure dans le nouveau bâtiment sert un objectif pratique et esthétique. Elle permet en effet d’utiliser un minimum de terrain et de ressources tout en redonnant un coup de jeune sculptural à ce reliquat des guerres, servant de fondation à l’édifice qui se transforme à la nuit tombée en phare ouvert et scintillant. La façade vitrée entoure la structure du bunker et offre un espace modulable pour les expositions, les événements et la conservation des archives. Le paysage est transformé en bassins naturels qui recueilleront l’eau de pluie et offriront par temps sec des espaces que les visiteurs pourront occuper. L’architecture de la façade vitrée crée un reflet poétique chatoyant des eaux peu profondes de la Mer des Wadden, site classé à l’UNESCO, pour devenir la nuit un phare qui reflète l’eau recueillie dans les bassins, illuminant le patrimoine sur lequel il repose.
- L’exposition PLACE est présentée par Dorte Mandrup en collaboration avec l’Aedes Architecture Forum à Berlin et le Bicolore – Maison du Danemark à Paris et avec le soutien de Beckett Fonden, Knud Højgaard fonden, Dreyers Fond, Louisiana Channel, Immersive Stories.