Pratiquement tous les textiles actuels sont issus de métiers à tisser mécaniques. Ils sont produits en grandes quantités et à grande vitesse. La quantité et la vitesse se répercutent sur la conception. À notre époque, on vise en général le toujours plus, toujours plus vite, la recherche du mieux venant seulement après. De ce point de vue, il peut sembler plutôt futile de s’essayer aux textiles à une petite échelle, de manière lente, en s’attachant surtout à la qualité.
Anni Albers, « Textile Work at Black Mountain College »,
The Weaver 6:1, Jan.-Fev. 1941
Actuellement, et peut-être plus que jamais, il nous tarde de vivre les choses de façon physique, tactile, et à un rythme plus lent. Avoir le temps de réfléchir ; de laisser notre esprit vagabonder dans l’abstrait vers son inspiration, revenir aux fondamentaux, à ce qui compte. Pour l’exposition In A Slow Manner, dix artistes occupant un vaste champ en termes de générations, d’intentions et d’expression ont été invités à exposer leurs sculptures bi- et tridimensionnelles, leurs tapisseries murales et objets lumineux, présentant ainsi différentes approches de l’art textile d’aujourd’hui.
D’ambitieuses questions se font jour : à quoi ressemble une surface drapée de Saturne ? Peut-on classer les couleurs à l’aide d’une formule mathématique ? Que se passe-t-il lorsqu’on efface les couleurs d’un tissu… ou que l’on plonge des sculptures textiles dans la porcelaine ? Un tissu drapé perd-il sa forme tridimensionnelle si on le photographie et qu’on le présente sur une surface plane ? Combien de temps faut-il à du coton plié pour se ternir, une fois exposé à la lumière du soleil ? Une méridienne est-elle moins fonctionnelle si son assise est composée de 203 balles de mousse recouvertes chacune d’un merveilleux tissu en mohair ?
Sans oublier la question de la couleur. Qu’il s’agisse de la recherche de la couleur autonome – la middle mixture telle que l’appelait l’enseignant, peintre et théoricien de la couleur Josef Albers – au travers de processus traditionnels, ou bien des vibrants reflets lumineux de la Baie de Tokyo rendus dans des tapisseries jacquard numériques... les œuvres présentées ont toutes un penchant pour des palettes définies. « Il y a autant de couleurs que de crêtes de vague », déclare Margrethe Odgaard, dont les nuances de l’organza de soie se reflètent dans d’autres œuvres exposées. Que se passe-t-il lorsque notre regard est altéré au point de perdre la perception du poids et de la transparence ? La délicate intervention d’une sculpture de soie matérialisant des idées complexes de forme, de temps et d’espace côtoie une installation lumineuse poétique et sensorielle rappelant un arc-en-ciel infini. L’exposition examine le potentiel de l’art textile tout en constituant une ode à la soif d’Anni Albers pour la qualité plutôt que pour la quantité. Nous sommes exhortés à nous souvenir que tout comme les textiles, la vie doit être vécue posément, attentivement, avec de profondes intentions.